Quand la fragilité change tout

En acceptant la mission de prêtre accompagnateur de la communauté de l’Arche L’Olivier à Bruz, près de Rennes, je ne m’attendais pas à de telles découvertes une fois la première appréhension dépassée. J’arrivais dans un monde inconnu et ce ministère s’est avéré source de joie et d’émerveillement devant la vérité des personnes rencontrées et leur simplicité dans l’accueil fait au nouveau venu. Les messes hebdomadaires et les nombreuses fêtes partagées, - une caractéristique de l’Arche-, m’ont révélé combien nos fragilités sont sources de grandes richesses.
Quand la fragilité change tout : Car elles sont nombreuses ces fragilités que nous portons en nous. Assumées personnellement et en communauté elles transforment. Il y a celles des personnes accueillies à l’Arche, avec leur histoire, leur handicap mental et physique, et la dépendance que cela implique. Il y a aussi la fragilité des assistants qui partagent le quotidien de la vie et témoignent d’une grande générosité en service civique pour quelques mois, ou bénévoles pour une activité, toutes et tous sont chaque jour bousculés. Et même l’aumônier ! Je retiens de mon premier contact la difficulté de communication où l’on se sent impuissant, comme gêné d’être là. Même les mots sont absents. Comment entrer en relation avec l’autre ? Comment le découvrir ? Comment faire ensemble un bout de chemin ? Mais surtout, comment se laisser accueillir ? Me voilà bien « empoté », démuni, désemparé même. Cette difficulté relève ma propre fragilité. Si je l’accepte, avancer est possible. Le geste, l’expression du visage devient un nouveau langage. Le corps malmené ou meurtri parle quand les mots manquent pour dire la soif de vie et de relation.
Reste à être là, simplement présent et se laisser emporter. Là est le miracle de l’Arche : être ouvert à l’autre, se laisser toucher. Et ce n’est pas peu de le dire ! Leçon d’humilité, de minorité, comme François et le lépreux. Qui est alors le plus handicapé ? Où en suis-je de mes propres limites ? Autant de questions à accueillir tout en gardant le sourire, l’humour pour arme fatale et répondre oui devant l’insistante demande de reconnaissance.
La fragilité du Christ serviteur : Le moment fort de l’Arche est pour moi la célébration du lavement des pieds le Jeudi-Saint. Vivre ce geste à l’invitation de Jésus à ses disciples, « Faites ceci en mémoire de moi », donne tout son sens à la communauté. Que d’émotion dans cette liturgie du service. Que de fraternité à voir l’un se faisant le serviteur de l’autre. Il n’y a plus assistants ou assistés, tous sont serviteurs à la suite du Christ, se mettant à genoux comme lui, s’abaissant à hauteur de chacun de ses disciples pour leur laver les pieds. La fragilité du Christ serviteur est à son comble. Me voilà emporté dans la même démarche, invité à repenser mon ministère à la suite du Christ, pour mieux servir et accueillir chaque personne comme un don sacré. Tout un chemin de conversion.